« L'Union européenne a été amenée à prononcer des amendes record ces dix dernières années contre certaines pratiques commerciales néfastes des très grands acteurs du numérique. Le DMA permettra d'interdire directement ces pratiques et créera un espace économique plus équitable et contestable pour les nouveaux acteurs et les entreprises européennes. » C’est par ces mots que l’ex-secrétaire d’Etat chargé du numérique, Cédric O, s’est exprimé sur l’accord politique provisoire du Conseil et du Parlement européen, adopté le 24 mars 2022 et portant sur la législation sur les marchés numériques. Après moins de deux ans de discussions, ce texte marque une nouvelle étape dans l’encadrement des grandes entreprises technologiques et dans l’ouverture à « plus de concurrence, d’innovation et de choix pour les utilisateurs[1] ». Le Digital Market Act rebat donc les cartes pour les grandes plateformes numériques. Désormais, les « big tech » ne pourront plus monopoliser leurs marchés. Pour le commissaire français Thierry Breton, le Digital Market Act sonne la « fin du Far West » en redéfinissant les conditions d’entrée sur les marchés numériques. Mais quelles en sont les conséquences pour les marketplaces ? Décryptage.
[1] Selon Andreas Schwarb, rapporteur de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs
Le 15 décembre 2020, la Commission européenne a annoncé la publication de deux textes visant à mieux réguler les activités dans l’espace numérique européen : le Digital Service Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA). Si le premier a vocation à s’adresser aux entreprises de toutes tailles et porte sur la régulation de l’utilisation de leurs services, le second ne concerne que les grandes plateformes dominant les marchés numériques.
Il n’aura fallu attendre qu’une petite année pour que les Etats membres décident à l’unanimité, le 25 novembre 2021, d’arrêter la position du Conseil sur le DMA. Côté DSA, le Parlement européen a adopté sa version en janvier 2022.
Puis le 23 mars 2022, le Conseil et le Parlement européen sont arrivés à un accord provisoire concernant le DMA. Celui-ci doit encore être approuvé définitivement par les deux instances avant que ne soit mis en œuvre un règlement d’application, 6 mois après son entrée en vigueur.
Contrairement au DSA qui ne fait aucune distinction de taille, le DMA se concentre essentiellement sur les « gros poissons », ces plateformes en ligne qui comptent au moins 45 millions d’utilisateurs mensuels et 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l’Union européenne (UE) et qui ont, au cours des 3 dernières années :
Pour être concernées par le DMA, les plateformes doivent en outre contrôler un ou plusieurs services de plateforme de base tels que des marketplaces (comme Amazon), des moteurs de recherche (comme Google) ou encore des réseaux sociaux (comme Facebook) dans au moins 3 Etats membres de l’Union Européenne.
Concrètement, le DMA fait surtout un pied de nez aux géants du numériques, du fait de leur position dominante – qualifiés de contrôleur d’accès ou Gatekeepers -, qui contrôlent l’accès des utilisateurs à leurs services et de leurs compétiteurs au marché. L’objectif du Digital Market Actest donc de rétablir un équilibre concurrentiel avec les entreprises qui tentent de percer les marchés numériques, en diminuant les barrières d’installation à l’entrée.
Parmi les marketplaces concernées par le DMA, on pensera naturellement à Amazon qui arrive sans surprise en pole position. Pour les places de marché plus petites et voulant se positionner sur une offre de produits en tout genre par exemple, cet acte est une aubaine. En quoi ? En ce qu’il impose un certain nombre d’obligations et d’interdictions pour ce géant.
Ainsi, les Gatekeepers ne pourront plus, entre autres :
En revanche, les Gatekeepers auront notamment comme obligations de :
En cas de non-respect de ces règles, les places de marché concernées par le DMA, - et en règle générale les grandes plateformes -, risqueront une amende allant jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires mondial total. Ce montant peut être porté à 20 % en cas de récidive. Le non-respect systématique (au moins 3 fois en 8 ans) des obligations posées par le DMA pourra même aboutir à une enquête de marché, missionnée par la Commission européenne, et à l’imposition de mesures correctives comportementales ou structurelles. Et pour aller plus loin, la Commission européenne aura également le droit de réclamer jusqu’à 1 % de son chiffre d’affaires si la plateforme ne coopère pas au cours de l’enquête.
Le DMA a vocation à corriger les déséquilibres en laissant plus de place aux nouveaux acteurs sur les marchés numériques. La suprématie des GAFAM, NATU et BATX devrait être ébranlée par cet acte… du moins sur le papier. Reste à savoir si d’ici un an, lorsque le DMA sera entré en vigueur et que son règlement d’application sera sorti, on assistera à de réels changements de la part de ces Gatekeepers sur le sol « numérique » européen.